Assurance vie : les fonds en euros vont-ils profiter de la hausse des taux ?

Le rendement des obligations a bondi depuis le début de l’année en raison du changement de cap des banques centrales. Cette embellie des titres obligataires, le principal actif du portefeuille des fonds en euros, n’aura qu’un impact très limité sur leur rémunération en 2022.

Les taux obligataires ont flambé depuis quelques mois. Les obligations sur dix ans émises par l’Etat français, par exemple, affichent un rendement annuel proche de 2% fin juin 2022, versus 0,17% en juin 2021, soit une hausse de près de 1,8 points. Une poussée provoquée par le changement radical de politique monétaire annoncé par la Banque centrale européenne , qui a emboîté le pas de la Réserve fédérale américaine (Fed). Alors qu’elles maintenaient leurs taux directeurs au plus bas pour doper la croissance économique depuis de nombreuses années, voilà les principaux instituts monétaires aujourd’hui engagés dans une stratégie inverse, motivée par l’objectif de réduire l’inflation. En relevant leurs taux directeurs qui donnent le ton aux taux d’intérêt du marché, elles renchérissent le coût du crédit et tirent ainsi de facto les taux obligataires vers le haut. Rappelons-le ici pour les néophytes : une obligation s’apparente à un prêt accordé à un Etat ou une entreprise.

La fin de l’érosion du rendement de l’assurance vie garantie ?

A priori, voilà une bonne nouvelle pour les nombreux détenteurs d’un fonds en euros, le compartiment sécurisé de l’assurance vie. Les obligations constituent, en effet, le principal actif sur lequel sont investis ces fonds garantis en capital. En érosion depuis plus de 10 ans, leur rendement moyen s’est établi à 1,30% en 2021. Les taux obligataires ragaillardis sont donc de nature à inverser la tendance, en dopant leur performance.

Les adeptes du fonds en euros vont toutefois devoir faire preuve de patience avant de toucher les fruits de cette nouvelle conjoncture de taux. Car les gérants renouvellent les titres obligataires de leur portefeuille à un rythme lent. Autrement dit, ils remplacent les anciennes obligations par de nouvelles plus rentable au fur et à mesure que les premières arrivent à échéance. Pourquoi ne pas revendre les anciens produits de taux moins rémunérateurs pour les remplacer par de plus récents offrant un meilleur rendement ? Car cela exposerait le portefeuille à une perte en capital incompatible avec la garantie due à l’épargnant sur un fonds en euros.

Pour comprendre, il faut savoir qu’au moment de son émission, une obligation affiche une valeur faciale, une durée et un taux d’intérêt annuel (son rendement). Au terme convenu, son émetteur la rembourse à sa valeur faciale, donc au prix auquel elle a été souscrite. En revanche, si le porteur de ce titre le cède avant son échéance à un autre investisseur, alors que les rendements des nouvelles obligations sont plus élevés, il devra concéder un prix de vente inférieur à la valeur faciale de ce titre. Les assureurs sont donc contraints de garder une part prépondérante de leurs obligations jusqu’à leur échéance pour ne pas subir de moins-value.

Un renouvellement lent des obligations

« Nous  renouvelons seulement 10 à 15% de nos titres obligataires en portefeuille chaque année », confirme Eric Le Baron, directeur général de SwissLife Assurance et Patrimoine. L’impact bénéfique de la hausse des taux obligataires sur le rendement servi sur les fonds en euros subira donc inévitablement un effet de dilution dans le temps.

« Depuis le début de l’année, nous investissons sur de nouveaux titres obligataires présentant un rendement moyen de 2,5%. Des niveaux que nous n’avions pas vus depuis 8 ans, commente Eric Dubos, directeur financier de la MACSF.  La performance de notre portefeuille est sur la pente ascendante et devrait maintenir ce cap, si les taux restent à leur niveau actuel durablement. Mais ce surcroît de rendement ne se traduira positivement sur le taux du fonds servi aux assurés que progressivement dans les années à venir. Cette relative inertie est inhérente au rythme de renouvellement des titres obligataire de nos actifs, seulement 15 à 20% d’entre eux arrivant à échéance chaque année. »

Des réserves équivalentes à un rendement annuel de 12,1%

Reste que les assureurs disposent d’un autre levier pour doper la rémunération de leurs fonds garantis. Depuis dix ans, la majorité d’entre eux engrangent des réserves. La loi les autorise à conserver chaque année 15% du bénéfice financier réalisé sur leurs fonds, sous condition de restituer ces gains aux assurés dans un délai de 8 ans. Ces provisions pour participation aux bénéfices (PPB) sont évaluées par le cabinet Goodmoneyforvalue.eu à 173 milliards d’euros, correspondant à 12,1% de rendement annuel !

Les compagnies pourraient être tentées de puiser dans ce bas de laine pour maintenir la compétitivité des fonds en euros. De fait, ces placements pourraient être concurrencés dans les prochains mois par la rémunération plus attractive de produits garantis de court terme, tels le Livret A ou les comptes-à-terme. Ces placements pour liquidités reposent sur des actifs qui bénéficient très rapidement de la hausse des taux directeurs.

« Il faudrait que les taux remontent brutalement à 2 à 3% pour inciter éventuellement nos clients à effectuer des retraits massifs sur le fonds en euros. Ce scénario est peu probable, mais nous sommes néanmoins en capacité d’y faire face », commente Eric Le Baron.

Avant une hypothétique désertion des fonds en euros par les épargnants, les assureurs ne seront pas enclins à puiser significativement dans leurs réserves. Celles-ci sont prises en compte favorablement dans les ratios de solvabilité qui leur sont imposés par la réglementation prudentielle. Amoindrir leur PPB les obligerait donc à immobiliser davantage de capitaux propres, une stratégie coûteuse. En chœur, ils préviennent leurs assurés : si la remontée des rémunérations 2022 est au rendez-vous, elle sera très limitée.

« Suravenir a accompagné la baisse des taux obligataires depuis une dizaine d’années de façon mesurée, en la répercutant très progressivement sur le rendement servis aux assurés sur nos fonds en euros, commente Thomas Guyot, président du directoire de Suravenir. Aujourd’hui, alors que les taux obligataires remontent il est très probable que la majorité des assureurs vie adoptent un rythme similaire pour revaloriser les taux de leur fonds. Nous suivrons volontiers ce mouvement de marché, en cherchant à maintenir un niveau de taux compétitif par rapport à nos concurrents, de façon prudente et raisonnable sur la durée. Il ne faut donc pas s’attendre à une remontée brutale des rendements de l’assurance vie en euros, mais à une augmentation qui devrait se limiter à environ 20 ou 30 points de base par an ». Les épargnants auraient tort d’espérer une nette amélioration des rendements 2022, qui seront annoncés dans les premières semaines de 2023. Les taux des fonds en euros resteront très inférieurs à l’inflation.

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